DÉFINITION – Des témoins intimes des cultures et des communautés
Portrait intérieur de nos villes et de leurs évolutions, les espaces intérieurs des édifices patrimoniaux sont, à leur échelle et de par leur usage, des témoins sociétaux, économiques, culturels et politiques.
Pourquoi valoriser ces espaces et les expertises associées est nécessaire aujourd’hui ?
Parce que, tout comme la façade des édifices ou des ensembles urbains, ils nous révèlent des pans de notre histoire; parce qu’ils sont des témoins intimes des cultures et des communautés ; parce qu’ils recèlent à eux seuls un corpus de savoir-faire et d’expertises d’une grande richesse et diversité; parce qu’ils sont encore trop méconnu et nombreux à disparaitre, détruits, altérés, brûlés, cachés derrière les façades.
Qu’il s’agisse d’un hôtel de ville, d’une banque, d’une maison ancestrale, d’un corridor d’immeuble, d’une église, d’un restaurant ou encore d’un cinéma, bon nombre de nos intérieurs sont des écrins d’histoires et de savoir-faire transmis à travers leurs décors, leurs finis, leurs dimensions, leurs agencements, etc.
À titre d’exemple, notons les intérieurs québécois suivants :
LA STATION DE MÉTRO LASALLE
Les stations de métro montréalaises sont de véritables témoins d’une étape d’envergure dans l’histoire de la ville et de son développement. Par leurs revêtements, leurs bancs, leur traitement spatial et l’intégration d’œuvres d’art à même le concept architectural, elles révèlent la vision des grands projets des années 1960-1970. Les premières lignes de métro furent inaugurées en 1966, sous le maire Jean Drapeau, desservant alors 65 stations, situées sur la ligne verte et la ligne orange.
La station La Salle fait partie de la seconde génération des stations de métro montréalaises initiées en 1976 lors du prolongement de la ligne verte jusqu’à Honoré-Beaugrand à l’Est et Angrignon à l’Ouest, pour la tenue des Jeux olympiques. Inaugurée en septembre 1978 dans l’arrondissement de Verdun, elle fut édifiée par les architectes Dider, Gillon et Larouche et les artistes Michèle Tremblay-Gillon et Peter Gnass. Nommée en l’honneur de l’explorateur français Robert de Cavalier de La Salle, fondateur de La Louisiane ainsi que du premier village de Lachine sur l’île de Montréal, cette station reçut un prix d’excellence du Canadien Architecture Review.
Œuvre structurale en soi, elle est composée de volumes contrastés par leurs couleurs vives et leurs formes angulaires, juxtaposés aux murs de béton brut striés de lignes diagonales. Ces lignes, rejetant les parallèles et les perpendiculaires, feraient échos aux toits des usines qui occupaient autrefois le site, rappelant l’ancien terrain vague industriel. La faible profondeur des voies permet également à la lumière du jour de s’infiltrer jusqu’aux quais par l’intermédiaire d’un puits de lumière.



LA SALLE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
Surnommée « le salon bleu », cette salle est située au cœur de l’Hôtel du Parlement, à deux pas du Vieux-Québec et de la porte Saint-Louis. Cet édifice fut construit en 1877-1886 par l’architecte Eugène-Étienne Taché. De par sa vocation (lieu de rassemblement des parlementaires), de nombreuses décisions et débats y furent menés quant à l’identité politique et sociale du Québec. Composée d’un décor architectural d’une grande richesse, cette salle fait partie d’un ensemble d’intérieurs de grande valeur reflétant l’histoire de ce prestigieux bâtiment.
Cette salle est surnommée le « salon bleu » depuis 1978, en raison de la nouvelle couleur de ses murs. Autrefois surnommée le « salon vert » pour les mêmes raisons, elle fut repeinte en bleu afin d’améliorer la prise de visuels destinés à la télédiffusion des débats mis en place depuis octobre 1978.
L’ANCIEN SIÈGE SOCIAL DE LA BANQUE ROYALE DU CANADA
Les halls des édifices bancaires qui rythment la rue Saint-Jacques du Vieux-Montréal content l’évolution de ces institutions financières canadiennes qui ont dessiné des pans entiers du territoire.
L’ancien siège social de la Banque Royale du Canada (RBC) fut construit en 1928 sur la rue Saint-Jacques (Vieux-Montréal) afin de célébrer le 50e anniversaire de la RBC par la firme new-yorkaise York & Sawyer, cet édifice monumental se voulait être « un véritable temple de la finance ». Il le sera à bien des égards, car si son extérieur d’une hauteur presque inégalée pour l’époque est d’une sobriété noble, le décor intérieur Beaux-Arts contraste et émerveille dès les portes en laiton à tourniquet de l’entrée principale franchies : un hall bancaire majestueux, des halls d’ascenseurs en bronze, un escalier de marbre central, une salle des guichets monumentale. À cela s’ajoute tout un mobilier composé de matériaux nobles.
Les espaces intérieurs de cet édifice expriment ainsi le prestige et la prospérité de l’institution et de son époque ainsi que la renommée des savoir-faire ayant permis de les édifier avec brio.
Vacant depuis 2011, la réhabilitation de l’ancienne salle des guichets en 2016 a permit de souligner la beauté de ce patrimoine intérieur en lui redonnant un accès public et un usage vivant. Ceci fut possible grâce à une étroite collaboration entre des expertises complémentaires et de grande qualité incluant artisans, architectes, designers, propriétaires et futurs locataire.


Ainsi, les espaces intérieurs des villes et des villages explorent à leur échelle les multiples ancrages historiques d’un territoire, d’une région, d’une province, d’un pays. Nous grandissons et évoluons au cœur de ces espaces. Traversés au quotidien ou parcouru ponctuellement, ils peuvent à toutes fins pratiques être source de connaissance, d’identification et de fierté.
Subtile combinaison d’éléments »fixes » et de biens meubles, un intérieur se compose donc de caractéristiques physiques (décor, agencement, spatialité, etc.) qui évoquent des composantes intangibles (histoire du lieu, témoin de savoir-faire d’artisans, d’une époque historique, d’us et coutume d’une communauté, etc.). Il peut être reconnu comme patrimonial pour diverses raisons, mais une composante demeure essentielle : il doit posséder suffisamment de caractéristiques physiques afin que sont intérêt soit perçu, compris et reconnu par celui qui le traverse.

CONSTAT ET ENJEUX
Pourtant, plusieurs enjeux habitent la conservation de nos espaces intérieurs patrimoniaux, qu’ils soient reconnus ou non :


1_ Faiblement documentés,
2_ Difficilement accessibles,
3_ Désuets et contraignants,
4_ Mises aux normes nécessaires (code du bâtiment),
5_ Présences de matériaux dangereux (amiantes, moisissures),
6_ Règlementations non appropriées et/ou lacunaires,
7_Édifices vacants.
Ces espaces demeurent une composante méconnue de notre patrimoine bâti, et ce dans bien des pays.

LES LACUNES

1._Protection : cadre de protection partiel ou non adapté au corpus et à ses enjeux spécifiques. Leur caractère privatif de certains de ces espaces accroit également la complexité de leur conservation.
2._Intervention : Les opérations en contexte patrimonial tendent souvent à une muséification (intérieurs-musées) des espaces intérieurs ou à contrario, à une transformation invasive altérant leurs composantes didactiques et, par conséquent, leur intérêt patrimonial. Plusieurs projets de transformation, souvent dévoués à ne conserver que la façade, ont progressivement participé à la négligence et à la fragmentation de ce patrimoine, de ses caractéristiques et de son corpus.
3._Valorisation : peu intégrés dans les évènements de médiation culturelle, de sensibilisation patrimoniale ou toute autre activité reliée à l’architecture, au design, au patrimoine et à la culture.
4._Acteurs : Une confusion anime fréquemment la définition des acteurs impliqués et de leurs rôles :
– Quelle instance doit prendre en charge la protection des espaces intérieurs ?
– Est-ce de la responsabilité des municipalités ou des arrondissements, situés au plus proche des propriétaires ?
– Celle des gouvernements, au pouvoir décisionnel plus grand ?
– Ou encore celle des organismes et des praticiens, possédant parfois une connaissance plus fine des enjeux ?